Mémoire du monde et interdits d'ados

Interview

Nous avons rencontré Landy Andriamboavonjy : chanteuse, harpiste, enseignante, elle a travaillé tout autour du monde. Dans cet entretien nous parlons de son livre-album, de petites choses faciles et d'adolescents que l'on bouge... Elle est l'artiste invitée du festival Les Voix du Prieuré qui a lieu du 27 mai au 14 juin : visitez leur site par là.

LandyANDRIAMBOAVONJY

Écoutons d'abord un peu sa harpe :

Votre livre-album "Le voyage de Zadim" contient des berceuses récoltées autour du monde. Quelle est l’histoire de cette histoire ?
La Genèse ? J’étais en Inde pour travailler le chant karnatique (chant classique de l’Inde) auprès d’une femme maître de chant, Savitri Nahir. Au bout de deux mois, au dernier cours de chant, Savitri m’a transmis une berceuse en me disant qu’il est sympathique de garder une trace d’un pays.

Cette berceuse faisait-elle partie du répertoire classique indien ?
Non : c’était un pas de côté. Je ne sais pas si elle fait partie du patrimoine, ou même si elle l’a improvisée sur le moment puisque je lui ai demandé la traduction et elle ne me l’a jamais donnée. C’est d’autant plus touchant : c’était une part d’elle qu’elle me donnait à ce moment là.

Landy-Zadim-Benoit-Facchi

Landy chante Zadim (photo Benoît Facchi)

 Il y a deux berceuses japonaises, une israélienne, deux malgaches, une martiniquaise, brésilienne, italienne, alsacienne, malienne… il y en a aussi que vous avez écrites dans cet album. Comment avez-vous sillonné la planète pour cueillir tout ça ?
J’ai voyagé avec le Théâtre Talipot qui est une compagnie d’art total. A partir de 2001, pendant 5 ans, on a fait à peu près 250 représentations dans le monde.

Faire un spectacle pour les petits ça change quoi pour vous ?
J’enseigne depuis que j’ai 15 ans donc la transmission ça compte pour moi. Mais c’est en effet un répertoire que je n’avais jamais abordé et ça ouvert une porte… si bien que j’ai eu un fils moi aussi !

Il s’appelle Zadim ?
Non ! (rires) Il s’appelle Yoni, ce qui signifie "le petit arbuste qui donne du miel" en arabo-berbère. Je pense que l’on est appelé à suivre le chemin de notre vie et quand cette berceuse est arrivée… mon fils a suivi… et j’ai plongé dedans la tête la première et le cœur a suivi.

Une berceuse peut donc porter beaucoup…
Encore aujourd’hui je vois combien cette petite chose facile à retenir véhicule la mémoire de chacun, sa mémoire cellulaire…

Écoutons encore un peu de harpe et enfin, voici la voix de Landy :

Comment ça se passe quand vous récoltez une berceuse ?
Il y a d’abord la rencontre : on a mangé ensemble, on a fait de la musique ensemble… et puis on de prend un moment d’intimité où je demande à la personne si elle connaît une berceuse de chez elle.
Ça demande à fouiller dans la mémoire et ça touche à l’émotionnel : c’est la maman ou le papa ou quelqu’un de proche qui chante cette berceuse. On ne la chante pas de manière anodine : c’est pour calmer un enfant, dans des conditions particulières où le corps et l’esprit sont dans la détente, le bien-être, l’apaisement.
C’est tout ça la berceuse : un élément musical très simple qui apporte le bien-être avec une voix.

Vous avez travaillé la voix dans de multiples dimensions depuis le chant lyrique jusqu’à la comédie musicale. Est-ce que c’est une autre façon de chanter ?
Le metteur en scène du théâtre Talipot nous emmenait dans des voix diverses et variées et j’étais perdue au début.
Ça s’est adouci au contact des berceuses. On chante dans la langue maternelle du pays et si l’on chante en italien ou dans une langue africaine ce n’est pas du tout pareil. La voix s’adapte et la voix imite. C’est pour ça que dans la transmission directe, en plus de la mélodie et l’émotion qu’elle porte, ce qui m’intéresse c’est le timbre de la personne et comment elle chante cette berceuse : c’est toute une langue que l’on entend derrière une berceuse. C’est bien d’apprendre une langue en chantant…
Il a fallu casser tout mon travail de voix lyrique pour arriver à quelque chose de plus naturel.

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Photo : Benjamin Sarfati

Après avoir vue maints endroits du monde, qu’avez-vous trouvé de spécifique à la Savoie ?
Un super accueil des instituteurs et des enfants très préparés. On va faire un petit film qui sera projeté en ouverture du spectacle : ça va faire un lien très particulier entre l’école et la salle de spectacle.

Vous présentez aussi West Side Story où il est question de clivages, racisme, affrontements… On le sent ici comme ailleurs dans le monde ?
Ici, en France, c’est plus dissimulé. On se sent plus loin de tout ça. À Madagascar, dans mon pays, il y a eu l’esclavage, la colonisation… Je suis née et j’ai été élevée dans une cité de Besançon plutôt accueillante et au long des années la situation s’est dégradée. Je savais qu’il y avait une bande que je ne devais pas fréquenter mais on vivait bien avec.

Vous avez travaillé cette œuvre avec des élèves de 4ième : encore un public différent.
Oui la 4ième 3ième c’est vraiment un âge critique : ces petits adultes commencent à se rendre compte de phénomènes comme le harcèlement et il y en a beaucoup au collège… Il y a surtout beaucoup d’interdits chez eux et c’est important de travailler avec eux pour qu’ils s’autorisent à s’exprimer.

©Nathalie Damide Baldji Landy VDP3

Landy intervenant au collège de Boigne sur le projet West Side Story (photo Nathalie Damide Baldji)

Comment un travail artistique permet-il de décrisper ces interdits ?
Tout travail artistique (théâtral, graphique…) touche à l’intime, à la relation de soi à soi et de soi aux autres. On parle de ça ouvertement à travers le corps, la voix…
La voix est le reflet de l’intime, des émotions et pour un adolescent qui s’interdit d’afficher ses émotions en public c’est un travail énorme. Dans un travail artistique on leur demande ce que font leurs émotions, on les fait parler de ce qui les fait vibrer. On dit : "tu as de la sève, tu existes et tu as le droit de l’exprimer, c’est ça être vivant."

Et ça fait tomber les a priori ?
Je ne sais pas mais le plus important c’est que ça réagit : ils ne restent pas des êtres amorphes ! Pas des moutons, des êtres actifs. On leur demande très tôt de décider de ce qu’ils veulent faire et s’ils ne savent pas d’abord eux-mêmes où ils se situent alors c’est très difficile.
Les matières artistiques permettent de se reconnecter avec son être essentiel. Qu’est-ce qu’on veut dans la vie ? Est-on actif, penseur ou bien se laisse-t-on porter ?

Les trois dernières questions du Bon Prétexte :

Propos recueillis par Gaspar

Zadim-Couv

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