"L'Anti-corps" : je suis une œuvre, un objet vivant

Interview

Installée dans le salon du Foyer des Jeunes Travailleurs "La Clairière" du Biollay, Maria Landgraf coud une robe de lettres, de mots, de phrases. Les gens passent et on se raconte sa vie. La performance a commencé trois jours plus tôt, dès qu’elle a investi les lieux : l’espace est aménagé et devient en cela une installation artistique.

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C’est alors que la phase finale de la performance commence. On entre dans une pièce avec une grande boîte surmontée d’une image mélangeant des mots et des membres… C’est un miroir montrant Maria dans la boîte. Elle ne parle pas mais on peut échanger avec elle, les mots qu’elle donne sont ceux cousus sur sa robe et elle se débrouille pour nous les montrer.

Maria Landgraf : Le langage est quelque chose de plastique et moi, en tant que "performer" je suis une œuvre, un objet vivant. Quand on voit la boîte, on ne sait pas toujours que je suis là et vivante car je ne bouge pas tout le temps.

©Victorine Sagnard (2)

©Victorine Sagnard

 

Cette performance est-elle avant tout graphique ?
C’est surtout poétique. Un peu comme quelqu’un qui dit un poème à haute voix donne corps à ce texte qui devient vivant. Ici le texte est supérieur à moi, je dois plier mon corps en fonction de ce que je veux montrer comme mots.

D’où viennent ces mots ?
J’ai toujours un carnet avec moi et je les choisis selon plusieurs critères : le son est rigolo / l’aspect du mot écrit / le contexte… Ça peut être une phrase aussi :

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Un mot est beaucoup revenu ces derniers temps : migrants a été remplacé par réfugiés… Les mots de l’actualité se retrouvent-ils dans le carnet puis sur la robe ?
C’est plus une affection avec un mot, une imagination… Mon art ne cherche pas à être directement politique. Il faut interpréter gestes et mots.
Par contre, la performance artistique est un acte politique : j’expose mon corps pour échanger, communiquer avec d’autres êtres humains.
C’est d’abord poétique donc c’est politique non ? (Sourires)

Dirty-Corner-Kapoor

Dans l’actualité, des mots peu poétiques posés sur un œuvre ont fait du politique. Anish Kapoor a souhaité que les inscriptions antisémites et royalistes ne soient pas nettoyées de son œuvre vandalisée ce été "Dirty corner" surnommée "le vagin de la reine" par ses détracteurs.
Je comprends son choix car cela montre que l’art gêne lorsqu’il est hors du mainstream, de ce qui plaît et fait consensus. Je n’aime pas que l’on abime des œuvres car c’est un manque de respect mais au moins ça a suscité une réaction.
{NDLR : Anish Kapoor a ensuite nuancé son propos, estimant qu’il "avait besoin de temps pour décider" s’il fallait effacer les tags. Il avait fait part de sa "grande tristesse" et évoqué un "enterrement de la culture". Le Monde du 10/09/2015}

Comme certains metteurs en scène, réalisateurs ou chorégraphes dont les œuvres font scandale ?
4On rejette ce qui fait peur. Par exemple, Rembrandt était détesté de son vivant : c’était sombre, triste, considéré comme pas beau. On le voit à présent comme un des plus grands artistes.

Que penses-tu de la différence de réaction à l’égard des migrants-réfugiés entre la France et l’Allemagne, ton pays d’origine ?
Avant cela, j’ai été très choquée par PEGIDA qui était très présent et actif dans ma région, la Saxe. Quand je suis arrivée en France, il y a treize ans, j’ai trouvé une ambiance plus cosmopolite. PEGIDA a peur de celui qui vient d’ailleurs, peur qu’on prenne le peu que l’on a car on ne le connaît pas.

L’Allemagne donne l’image de "on est cool, tout le monde est bienvenu" : c’est médiatique, c’est pas la réalité des choses. D’ailleurs, je me demande : les gens qui sont arrivés avant cette dernière vague si bien accueillie peuvent-ils mal le prendre ?
C’est un peu comme le mouvement JE SUIS CHARLIE : on a l’impression d’être tous ensemble et puis ça retombe et on voit les divisions de nouveau.
Je suis donc partagée. Tout n’est pas noir ou blanc.

Anticorps-VictorineS

©Victorine Sagnard

 

Si tu avais un super pouvoir ça serait quoi et pour quoi faire ?
Je peux être égoïste ?
J’aimerais, pour au moins un jour, parler toutes les langues du monde pour comprendre les gens et saisir le fond de leurs pensées.
En quoi est-ce égoïste ? C’est tourné vers le monde…
C’est pour mon plaisir, ma satisfaction : pas pour sauver le monde mais pour le comprendre.

Si tu pouvais voyager dans l’espace et dans le temps, tu irais où et quand ?
Je n’aime pas anticiper, planifier, projeter. La meilleure époque c’est le présent. Je me souviens du passé et je rêve du futur… mais je me concentre sur l’instant car le passé n’a plus d’intérêt et le futur est trop déstabilisant.

Quel est ton méchant préféré ?
Les fraises à la chantilly !

Que dirais-tu à l'enfant que tu étais ?
Je ne t’oublierai jamais.

Propos recueillis par Gaspar

Maria Landgraf

©Le BaM//

 

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©Victorine Sagnard (1)

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