De l'audace, mon amour !

Interview

Ils ont à peine le quart de siècle : ils sont donc assez fous pour écrire une pièce de théâtre, la mettre en scène et obtenir le théâtre du casino d'Aix-les-Bains pour présenter leur œuvre. Nous allons à leur rencontre par une fin de semaine froide et pluvieuse pour une fin de création chaleureuse et lumineuse... 

Sur une colline d'Aix, voici le lieu de travail de La Compagnie Caravelle : en apparence un garage derrière une maison aux volets rouges... en vérité une ruche où les ailes des abeilles gonflent les voiles de ceux qui n'ont pas peur.

Ambiance : les artistes font des mises au point loin du micro...

IMG_4450Le comédien Antoine Formica incarne Génocide qui est amoureux de l'Humanité elle-même incarnée par la danseuse et chorégraphe Martha Gey. Il l'a invitée à passer une dernière soirée ensemble avant qu'il ne se suicide pour, enfin, laisser la belle Humanité vivre en paix…

Les auteurs sont là, le metteur en scène est à la fois discret et hyper présent, une paire ou deux d’amis esthètes et connaisseurs des arts affutent leurs regards extérieurs… Il y aussi Dominique : officiellement exhausseur de confidences et d’expertises artistiques… ou quelque chose comme ça…

Ici, il y a tellement de concentration que l’air devient consistant, que les murs du garage s’écartent, les paysages de genèse et d’apocalypse apparaissent…

La musique porte haut l’émotion de ce spectacle. Karine Vartanian interprète Bach, Beethoven, Heller, Khatchatourian, Komidas, Liszt, Mozart, Rachmaninov, Scriabine... L’intensité de son jeu vient de plus loin que le talent : c’est certainement l’histoire de sa vie qu’elle interprète. Depuis les montagnes du Petit Caucase jusqu’à nos Alpes elle vient de l’Arménie en passant par la Russie et l’Espagne, et de l’histoire de ces peuples.

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Antoine Guillot raconte qu’en effet Karine est le point de départ de ce spectacle. C’est l’histoire de Karine qu’il trouvait fascinante. Il y a un an et demi, elle souhaitait monter un spectacle sur le génocide.

Antoine Guillot : À cette époque, je ne savais pas du tout où aller, je savais juste que je ne voulais pas juste un piano avec un mec qui lit des lettres de rescapés des camps. Je voulais quelque chose à la hauteur du sujet… C’est bien plus tard qu’est venue l’idée de personnifier le génocide et j’ai appelé Antoine pour jouer le rôle et ensuite j’ai appelé Kilian pour qu’il écrive le texte avec moi.
Kilian Salomon : Je n’avais jamais écrit pour le théâtre mais ça m’a emballé quand il m’a proposé d’aller nous enfermer dans la Drôme

A.G.: C’était dans le grand manoir d’un peintre aveugle à Montmeyran. On avait une petite pièce d’où on est pas sortis. On avait un feu…
K.S. : On mangeait des boites de conserve réchauffées sur le feu…

A.G.: En deux jours on a quasiment fini l’écriture de la pièce. Puis on est revenus une semaine après, on a tout déchiré en se disant que ça ne résisterait jamais à la scène. On est restés bloqués pendant trois jours. On accumulait les notes…
K.S. : On faisait des dessins et des schémas sur les murs…

A.G.: On a fini par sortir et se promener dans la forêt derrière le manoir.
K.S. : On ne se disait rien. On réfléchissait.

A.G.: On a trouvé un bout de bois qu’on a épluché et là on a trouvé la place de Martha Gey et celle du Génocide et celle de Karine. La difficulté de ce texte c’est d’articuler ces trois figures fortes, incarnées dans des disciplines différentes… Quant on a discuté en épluchant ce bout de bois on a trouvé leurs places. On a jeté le bâton, on s’est précipités au manoir et on s’est mis à écrire pendant 24 heures (en dormant juste deux heures). Le lendemain, on a fait juste deux petits ajustements…

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Antoine, toi qui incarnes le Génocide, est-ce qu’il y a des rôles que tu affectionnes ? Aimes-tu particulièrement jouer les méchants ?

Antoine Formica : C’est un plaisir de jouer ce genre de personnage où je dois explorer une part sombre de moi-même. J’ai toujours rêvé de jouer le rôle de Iago dans Othello (de Shakespeare, NDLR)…
A.G. Ou Arturo Ui (La Résistible Ascension d'Arturo Ui, de Bertolt Brecht, NDLR).

A.F. Ça m’intéressait de le traverser et de trouver la nuance à l’intérieur d’un personnage qui représente toute la part obscure de l’humanité. Il n’est pas que mauvais, il représente une part de l’humanité. Il peut aussi représenter une part joyeuse : il dit dans la pièce qu’il est autant la souffrance que la puissance créatrice et destructrice de l’humanité.
Il s’appelle Génocide mais on pourrait l’appeler Culture, Instinct, Pulsion…
A.G. Ou Mon Amour (rires)
A.F. Il est ce qui nous différencie de l’animal…

Cela fait penser au livre de Howard Bloom intitulé Le Principe de Lucifer...

A.F. : Ce qui fait que l’on est autant capable de peinder le plafond de la chapelle Sixtine que de perpétrer des massacres en Syrie…
A.G. : Notre texte parle de cette dualité. On ne peut jamais dire oui OU non : c’est toujours un peu des deux…

Vous cherchez quoi alors ?

A.G. : Avec ces trois présences sur scène, on recherche pourquoi et comment est-il possible de faire des choses aussi belles et des choses aussi horribles. Comment un homme peut-il en tuer un autre ?
A.F. : Ce personnage, Génocide, est capable de tuer, de détruire mais il est aussi capable d’amour.

A.G. : Ce terrible constat qui vaut pour résumer la pièce : l’humanité ne peut pas vivre sans génocide. Ça vau comme constat de l’histoire de l’humanité : pourquoi ce besoin ?

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Un autre pourquoi : pourquoi l’humanité est-elle muette dans votre pièce ?

A.G. : C’est une danseuse, elle ne sait pas apprendre de texte.
(rires)
A.G. : D’un côté c’est Génocide qui contrôle la situation : il organise cette soirée pour dire adieu à l’Humanité. Elle subit tout ce que Génocide lui envoie et en même temps il y a cette résistance qui dit qu’il s’agit d’une seule et même personne exprimée par :
- la-voix-le-texte-l’art,
- le-corps-l’organique-la-respiration,
- et l’histoire-la-mémoire-l’intelligence
K.S. : La folie, l’Amour…
A.G. : Il s’agit de trois facettes d’une même personne : trois facettes de chacun d’entre nous.

Je termine toujours mes interviews par 3 questions :

Propos recueillis par Gaspar
Photos de Kristina D'Agostin

P. S. L'Humanité est ici muette mais nous vous invitons à lire son interview par Agathe Philippot :
"Le Corps de l'Humanité"
"J'incarne un rôle qui questionne l'humanité et à quel point elle peut se perdre" dit Martha Gey...

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Le Bon Prétexte vous offre des places pour la première de ce spectacle :
GénocideMonAmour_LeBonPretexte(1)

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