"No Rules ( anything goes)" : C’est une histoire d’Humanité

Interview

La compagnie du chorégraphe Joseph Aka présente son nouveau spectacle No Rules (anything goes) le 18 et le 19 novembre prochain à l’Espace Malraux. Cette pièce pour quatre danseurs et deux musiciens est « une chorégraphie vibrante, qui nous conte l’histoire universelle des jeux de pouvoirs » (Espace Malraux).

Je fais donc mes premiers pas journalistiques en partant à la rencontre de Joseph Aka. Cet échange a été l’occasion d’en apprendre davantage sur son travail artistique, ses souhaits quant à l'Humanité mais également ses doutes pour l’avenir.

©Joseph Aka

Pour votre dernière création chorégraphie No Rules (anything goes), vous avez fait le choix de partir d’une pièce de théâtre In the chest of a woman d’Efo Kodjo Mawugbe, célèbre auteur ghanéen. Pourquoi avoir choisi de partir de quelque chose d’existant ?
C’est la première fois que je pars d’une pièce de théâtre. J’ai déjà travaillé sur des textes et notamment des poèmes, mais c’est la première fois que je pars d'une pièce de théâtre. L’idée qu’on a eu avec mon dramaturge, Fabien Bossegia, c’est de tirer des thématiques de cette pièce, et de se détacher de l’histoire même : on a tiré des thématiques depuis l’histoire. En gros, cette pièce parle de pouvoir et de soumission : ce sont donc les thématiques que nous avons repris pour No Rules (anything goes).

[ndlr. In the chest of a woman de Efo Kodjo Mawugbe raconte l’histoire d’une femme, en principe héritière du pouvoir, mais à qui on refuse de donner le pouvoir sous prétexte qu’elle est une femme. Le jour où sa propre fille naît, elle la fait passer pour un garçon afin que l’enfant puisse prendre place, le moment voulu, à la tête du pouvoir.]

Ça n’est donc pas une retranscription dans la danse de la pièce de théâtre d’origine.
Non, pas du tout.

Le titre de votre création est « No Rules (anything goes) ». Il s’agit d’une citation de la pièce de théâtre d’Efo Kodjo Mawugbe. Pourquoi ce choix ?
Dans la pièce de théâtre, cette phrase est un moment fondamental, la rébellion du genre féminin vers le genre masculin. C’est la rébellion d’une princesse qui n’accepte pas qu’on lui refuse le pouvoir parce qu’elle est une femme. Elle n’admet pas qu’on lui refuse le pouvoir pour ce qu’elle est. Pour moi c’est le moment le plus fort de la pièce, cette phrase m’a interpellé. Le travail dramaturgique et chorégraphique est basé sur cette phrase-là : « il n’y a pas de règle, tout est permis ». Mais quand on dit ça, qu’espère-t-on réellement ?

Ne sommes-nous pas toujours contraints de suivre les règles ?
Oui, du moment où ces règles ne discriminent pas. Là c’est une discrimination par le sexe. Nous sommes d’accord qu’il y ait des règles et qu’il faille les respecter, du moment que ces règles prônent l’équité. C’est l’injustice des règles inéquitables que ce travail chorégraphique essaie de mettre en exergue. Les danseurs vont partir dans cette lutte-là, pour une forme de démocratie, d’égalité ; mettre le peuple, les individus, au centre de toute décision politique, de toute règle. C’est l’essence même de mon travail chorégraphique. « Il n’y a pas de règles, tout est permis » : oui, mais dans ce « tout », qu’est ce qui est vraiment permis ? C’est la question fondamentale de la pièce d’Efo Kodjo Mawugbe.

C’est la question de la place de la femme dans la société qui est mise en question…
Oui et non. On ne voulait pas rentrer dans cette forme de féminisme, mais aller plus loin. On parle de l’Homme avec un grand H, et pas uniquement de la femme ou de l’homme. Nul n’a le droit de discriminer ou d’être discriminé. Ce n'est pas qu'une histoire d’homme ou de femme, c’est une histoire d’Humanité, d’égalité entre chacun. Il n’y a pas qu’en Afrique, mais ici aussi, les femmes ont du mal à trouver leur place. Mais ça n’est pas l’essentiel dans la pièce. Nous prônons une forme d’humanité, de gouvernance, où l’individu, sans parler de sexe, doit avoir une place dans toute décision. C’est peut-être un peu utopique. Si à chaque décision on mettait le peuple au centre, et que toutes les décisions étaient prises en tenant compte du peuple, je pense qu’on n’aurait pas toutes ces guerres, ces conflits, toutes ces choses que l’on voit aujourd’hui et qui moi me rappellent les années 30. Je pense que les années à venir vont être très difficiles, même si je pense qu’il n’est pas trop tard. Le sens de mon travail est de poser la question et d’essayer de voir comment la résoudre. Il ne faut pas que quelques-uns prennent des décisions pour les autres. On parle en France de la difficulté du dialogue social : c’est lié à ces questions.

Vous replacez vous-même ces questions au cœur de l’actualité. En Côte d’Ivoire [ndlr. pays d’origine de Joseph Aka], il y bientôt des élections présidentielles. Pensez-vous qu’il soit possible qu’une femme arrive à la tête du pays ? Y a-t-il des candidates ?
Non il n’y en a pas !

Pensez-vous alors que dans un avenir plus ou moins proche il puisse y avoir une femme présidente de la Côte d’Ivoire ?
Honnêtement, je ne pense pas… On a bien vu en France, ce qu'il s’est passé en 2007 avec la candidate Ségolène Royal… Au lieu de se concentrer sur la politique qu’elle proposait, toutes les attaques portaient sur le fait qu’elle était une femme. Je me rappelle d’une question qui a été posée à ce moment-là : « Mais qui va garder les gosses ? » Je ne pense pas qu’en France on soit prêt à avoir une femme au pouvoir. Et en Côte d’Ivoire s’est pire ! Quand on regarde dans le monde, il n’y pas beaucoup de femmes chef d’Etat… Je pense qu’une femme au pouvoir peut apporter beaucoup de choses. Les femmes ont peut-être de l’intuition et mettent moins leur égo en avant que les hommes. Ça n’est pas toujours le cas, mais en général les femmes ont cette douceur-là, une forme de maternité qui fait que les problèmes peuvent être abordés autrement que par de la testostérone. Les hommes sont toujours dans des relations très frontales. C’est mon avis, sans doute pas celui de tout le monde. Pour ma part j’en suis convaincu : regardez, je ne travaille qu’avec des femmes ! Ce n’est pas pour rien ! Les choses ne s’abordent pas de la même manière avec les femmes qu'avec les hommes. Les femmes ont souvent plus de recul. Elles ont cette capacité d’englober la totalité d’un problème et voient les choses différemment.

No Rules (anything goes)Dans l’histoire d’Efo Kodjo Mawugbe la princesse a une fille, mais pour qu’elle puisse un jour être à la tête du pouvoir, la princesse cache au monde qu’il s’agit d’une fille et la fait passer pour un garçon. Sur la photo qui illustre votre spectacle, on voit quatre danseurs : à première vue ils se ressemblent tous. Mais en y regardant de plus près, on se rend compte que parmi eux il y a une femme. Est-ce volontaire d’avoir une femme qui se confond aux hommes ?
C’est en effet volontaire dans cette pièce-là. Les danseurs sont tous habillés pareil. La danseuse n’est donc pas marquée par rapport aux danseurs, et inversement. C’est juste pour parler de l’Homme avec un grand H. C’est pour ça que j’ai choisi une femme qui n’est pas très féminine pour ne parler ni d’homme ni de femme, mais bien d’Humanité. C’est en tout cas une très bonne remarque !

Dans votre travail, vous intégrez l’art africain traditionnel, la danse comme la musique, dans une forme très contemporaine. Est-ce que votre travail vous permet de faire passer quelque chose de particulier des traditions africaines ? Est-ce qu’à travers ces formes traditionnelles, qui font partie de votre identité, et que vous réinterprétez, vous souhaitez faire passer des valeurs ?
Je ne veux rien faire passer de particulier, mais simplement être ce que je suis. Je suis africain, d’origine ivoirienne : je ne l’ai pas choisi. S’il y a un message c’est simplement que j’ai cette racine-là. On peut amener ces racines ailleurs, on peut s’en servir pour les rendre universelles. C’est tout mon travail chorégraphique. En Côte d’Ivoire il y a 70 ethnies ; dans chaque ethnie il y a au moins 3 ou 4 danses. Il y a une grande richesse. Est-ce que je devrais m’en priver ? Il y a beaucoup de chorégraphes européens qui viennent en Afrique : en Côte d’Ivoire, au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso… Ils viennent y chercher une inspiration nouvelle. Pourquoi moi je m’en priverai ? Il n’y a pas de message particulier, c’est juste moi. Aujourd’hui je suis là, avec tout le brassage, le métissage qui fait que je suis moi. Je pense que l’avenir appartient au métissage même si aujourd’hui c’est encore mal accepté. Regardez la récente polémique sur « la race blanche »… [ndlr. Mots prononcés par Nadine Morno en septembre dernier.] Je suis ici, je viens de là, j’appartiens au monde ; et dans ce monde dont je fais partie, voilà ce que je peux apporter, moi, en tant que chorégraphe. Souvent les gens regardent trop qui je suis, et pas assez ce que je fais. Je suis ce que je suis, avec tout mon parcours, toutes mes racines. Je ne vais pas me renier pour faire de la danse contemporaine pure. Ça n’est pas mon objectif, je ne souhaite pas le faire, je n’en ai pas envie. Je souhaite juste garder mon identité dans mon travail. On me fait souvent la réflexion que mon travail est trop contemporain ou pas assez traditionnel. Mon travail chorégraphique en compagnie n’est pas de faire de la danse contemporaine, mais une forme de danse universelle. Je ne souhaite pas créer pour plaire ou pour rentrer dans des cases. Malheureusement la France cherche à tout ranger dans des cases, et je le ressens en tant qu’artiste et c’est souvent un problème. S’il y a un message ça serait alors celui-là : que les gens arrêtent d’essayer de mettre à tout prix les gens dans des cases. Il ne faut pas juger les gens, mais le travail qu’ils proposent. Quand je vais au musée et que je regarde une peinture, je ne cherche pas à savoir qui est celui qui la faite, ou quelles sont ses origines. Je cherche à rencontrer le travail de l’artiste, les émotions qu’il me procure. Dans mon travail chorégraphique, j’essaie d’être le plus sincère possible et de faire ce qui me ressemble.

On parle beaucoup aujourd’hui de l’importance de diversité culturelle…
Oui, mais je ne crois qu’on accepte réellement cette diversité culturelle… Mais ça dépend aussi des régions.

Dans vos œuvres vous donnez une place importante à la musique avec des mélanges parfois surprenants. La musique de No Rules (anything goes) sera jouée sur scène par une contrebasse et un djembé.
Je fais du spectacle vivant : il faut donc que ça vive ! Mon travail chorégraphique et mon travail musical suivent la même démarche de métissage. Je cherche à mettre ensemble des instruments qui ne sont pas censés aller ensemble et trouver un son universel dans lequel tout à chacun peut se retrouver. Mon travail c’est ça : tenter de trouver des formes universelles de la musique et de la danse. Tout converge. Pour cette pièce la musique a été composée sur mesure par Marybel Dessagnes. C’est notre troisième collaboration. Elle est aussi dans cette démarche.

Chacune de vos créations est donc envisagée comme une œuvre totale et pas uniquement comme une pièce chorégraphique...
Exactement ! La danse, la musique et la lumière ne sont pas dissociables. Tout fait partie de la dramaturgie de la pièce.

Si vous aviez un super pouvoir, lequel serait-il et pourquoi ?
Que les gens s’intéressent davantage à mon travail, et moins à moi ou à mes origines.

Si vous pouviez voyager dans le temps et dans l’espace, vous iriez où et quand ?
… Je ne sais pas… J’irai peut-être dans les années 30 pour tenter d’éviter la guerre. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui l’histoire se répète…

Quel est votre méchant préféré ?
Dark Vador ! Il est mystérieux, et son mystère m’intrigue. Son chemin jusque vers le côté obscur de la Force m’intrigue. J’aimerai savoir ce qui s’est passé dans sa tête. Comme beaucoup je crois, j’attends la sortie du prochain épisode avec impatience !

Propos recueillis par Caroline

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