Le Voyage ici de Miguel Bonnefoy

Interview

Lorsque Le Bon Prétexte l'a rencontré, cet été 2014, il était en train d'écrire sur le T-shirt d'une jolie blondinette...

S'il dit "oui" : dis "oui"
S'il dit "non" : dis "non"
S'il dit "peut-être" : demande une preuve

Voilà ce que Miguel Bonnefoy écrivait sur le T-shirt de la future mariée qui demandait aux gens de lui écrire des "conseils pour un mariage réussi".
L'ambiance "enterrement de vie de jeune fille" devient pensive : Merci, je méditerai ça, dit-elle.

Miguel, au bord du lac d’Annecy, redescendait de la montagne, d'une rencontre à la bibliothèque de Viuz-en-Sallaz, pour un café littéraire.
En ce moment, cet hiver 2015, son premier roman est publié chez Rivages : Le voyage d'Octavio et Miguel apparaît dans les médias nationaux : Le Grand Journal de Canal+, France Inter, Le Figaro, et même Elle (parce qu'en plus il a une plastique plaisante)...

C'est Le Bon Prétexte pour ressortir ce petit bout de texte relatant notre rencontre :

MiguelBonnefoy
Bon alors Miguel, cela fait trois mois que la fondation FACIM te planque dans une résidence d’écrivain sur les hauteurs de St Pierre d’Albigny. Il paraît que tu as achevé le premier jet de ton premier roman. Comment as-tu vécu cette période ?
Avant de venir, je pensais que je ne trouverais jamais la discipline, je ne trouverai jamais l’effort ni le temps et que la solitude et le silence allaient m’effrayer et que je ne pourrai rien écrire… Et pourtant, je me suis moi-même découvert.
Je me levais assez tôt, je prenais un café, je travaillais pendant le matin en écrivant de manière assez automatique. Après le déjeuner, pendant l’après-midi, je lisais et prenais des notes en faisant quelques enquêtes pour pouvoir préparer la matinée suivante. 
Le lendemain, je réécrivais ce que j’avais préparé l’après-midi de la veille. 
Par ce système d’échelle, en essayant d’être très discipliné, j’ai réussi à écrire les deux derniers tiers du roman. Les premières pages de mon roman sont d’ailleurs écrites avec beaucoup plus de maladresse que celle écrites en résidence.

Cette façon d’écrire va-t-elle changer ta façon de travailler plus tard ?
Clairement, je pense que cela m’a permis de montrer qu’il était possible d’avoir un plan de travail, une feuille de discipline et que tu pouvais avancer bien plus vite que si tu étais à la BNF (Bibliothèque Nationale de France, à Paris).
Naturellement, être écarté de toutes les distractions de la capitale, de la famille, des amis, de la copine, être entièrement seul permet de travailler de manière plus simple.

Est-ce que tu as cultivé cette solitude, en disant que tu n’étais pas là pour courir partout et visiter la région mais pour t’embastiller ?
À tel point que je n’ai pas pu découvrir la région, sauf avec les rencontres que j’ai eues grâce au Pôle Vie littéraire de la fondation FACIM ! Je ne suis jamais sorti de la résidence tout seul ! Cela m’arrivait entre deux longues périodes de travail de sortir me réfugier entre deux racines d’un arbre… mais tu sais, quand on n’écrit pas, on écrit toujours, n’est-ce pas ?

Y a-t-il des éléments de ce cadre qui ont nourri ton écriture ?
Comme j’écris sur des paysages tropicaux, des caraïbes, sur des fruits et une flore qui ne sont pas d’ici, le paysage Savoyard ne m’a pas inspiré par sa nature !
Dans la résidence, il y avait curieusement quelques livres hybrides, comme du Marcel Aymé, du Eva Joly, des guides sur les secrets des antiquaires… Je les ai tous lus, Gaspar.
Je les ai tous lus pour essayer d’en prendre mille notes. Pour te donner une idée, il y a une scène dans laquelle un de mes personnages se retrouve dans un réduit, dans une église, et il restaure des meubles. Moi, je connais rien à la restauration des meubles mais j’ai trouvé dans ces guides 500 pages sur les secrets des antiquaires, qui révèlent comment polir et réparer les craquelures des meubles avec de l’acétone et du miel fluide. J’ai alors pu donner à cette scène et à ce personnage, une mise en relief.

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© FACIM - Mathilde Walton

Tu avais déjà cette scène de prévue avant d’écrire le livre ou bien la découverte de ces guides d’antiquaires t’en ont donné l’occasion ?
Quelque part, les deux. Le fait d’avoir vu cette bibliothèque, c’est presque un exercice de style : celui de s’imaginer qu’il peut y avoir un seul livre qui puisse réunir dans une molécule fondamentale tous les autres livres qui sont là.

Es-tu venu avec des livres ?
Avec quelques livres, mais peu. « Le premier homme » de Camus (je ne l’ai pas lu) et quelques autres que je n’ai pas lus non plus. Par contre j’ai lu entièrement « Le retour de l’enfant Prodigue » d’André Gide et « La Vouivre » de Marcel Aymé.

Vas-tu laisser des livres dans la bibliothèque de la résidence ?
Oui, je vais en laisser un ! Tout le monde en a laissé, elle a été constituée grâce aux passages de ceux qui ont laissé leurs livres. Alors oui : je vais en laisser un, en espagnol.

À propos de ce qui t’a fait découvrir ce rapport avec le paysage et les gens, dans les actions culturelles, comment cela s’est-il passé ? Bibliothèques, établissements scolaires... Que retiens-tu des rapports avec ces lecteurs que tu as rencontrés, ces scolaires ?

J’ai été très surpris de rencontrer des personnes avec qui je n’aurais jamais discuté si je n’étais pas venu. J’ai été surpris comme le travail de la fondation FACIM et de son Pôle Vile littéraire a amené ici une littérature qui n’a parfois rien à voir avec le paysage Savoyard.
Quand on écrit, la littérature n’a pas « un public », elle a des lecteurs et quand on écrit on ne connait pas ces lecteurs, on écrit pour une brume un peu abstraite. On verra bien qui le lira. Mais là, rencontrer les lecteurs, avoirs des feedbacks et des retours, et se rendre compte que ce sont des personnes qui ont derrière tout un vécu, c’est fascinant. Ce feedback avec les lecteurs montre à quel point on est lu avec attention et je vais aujourd’hui faire bien plus attention à ce que je vais écrire dans mes livres.

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© FACIM - Mathilde Walton

Que penses-tu de tes projets futurs ? De l’écriture ?
Il se trouve que je ne peux pas ne pas écrire. Si je n’écris pas, j’ai mal. Alors oui : j’ai déjà en tête le prochain projet, ou, ici et là, quelques petites nouvelles. Pour l’instant il y a encore beaucoup de travail à faire, beaucoup de corrections sur le manuscrit, et on verra ce que ça donne !

Peux-tu nous dire deux mots sur ton travail d’écriture à la résidence ?
Le roman partait d’une histoire, et devait parler « d’écriture », alors le meilleur moyen d’écrire sur l’écriture, c’était de faire un personnage analphabète.
De fil en aiguille, à force de lectures et de questionnement sur l’écriture, je suis tombé petit à petit dans le projet d’écrire une réécriture de la légende de Saint Christophe.

Peu de gens connaissent Saint Christophe mais, pour faire court, il est le géant qui traverse un torrent et emmène les voyageurs d’une rive à l’autre. Il fait passer tout le monde jusqu’au jour où il fait passer un petit enfant de l’autre côté de la rive et, en plein milieu de cette traversée, les genoux de Christophe fléchissent, son échine se courbe et il sent que cet enfant a le poids intenable de tous les hommes : c’est naturellement l’enfant Jésus.
Et bien allégoriquement, on retrouve ceci avec le peuple vénézuélien. Le passage d’une rive à l’autre, le redressement de son échine.

C’est un sacré programme. C’est donc ton premier roman, que peux-tu donner comme conseils à quelqu’un qui n’a pas écrit de roman ?
C’est difficile pour moi d’en parler naturellement parce que je suis jeune, à un stade embryonnaire de l’écriture et je suis dans un grand doute.
Si je peux donner un conseil simplement, je dirais qu’il ne faut pas sacraliser l’écriture. Trop souvent, on se dit « trop de grands on écrit, trop de belles phrases ont déjà été constituées, je n’arriverai jamais à ce niveau-là… » et bien je ne veux pas trop m’approcher de cette pensée. Désacraliser l’écriture est un premier pas à l’échelle que tu peux avoir pour gravir ce talus. Les mots sont un privilège et n’appartiennent à personne.

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© Guy Bernot

Cette sacralisation de l’écriture, c’est quelque chose que tu as vu dans les mains, dans les regards des jeunes avec qui tu as fait des ateliers ?
Dans les ateliers, pas trop. J’ai rencontré des personnes trop jeunes pour qu’ils comprennent la sacralisation de l’écriture.

Je termine toujours mes interviews par 3 questions :
Si tu avais un super pouvoir ça serait quoi ?
Depuis tout petit, j’aimerais qu’à chaque fois que je touche quelqu’un, je puisse avoir imprimé dans ma tête toutes les informations que lui a. De cette manière, tu peux réunir toutes les connaissances du monde et c’est peut être une allégorie de l’écriture. On peut, avec l’écriture, passer de personnage en personnage, aller de chair en chair et avoir à l’intérieur de ces personnages, chaque information d’eux.

Si tu pouvais voyager dans l’espace et dans le temps, tu irais où et quand ?
Je reviendrais au 11 septembre 1973, le jour où les troupes militaires d’Auguste Pinochet bombardent La Moneda, pour sauver Salvador Allende d’un terrible suicide.

Et enfin, je voudrais connaitre ton méchant préféré ?
Barack Obama ! C’est le roi du monde en ce moment, il est la figure de l’empire, il est le premier masque du capitalisme et pourtant qu’est-ce qu’il est sympathique…

Propos recueillis par Gaspar avec l'aide de Loti

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